Jean-Marc Paubel
Un voyage d'hiver
Cycle de dix huit dessins de grand format réalisés durant les hivers 2016/2017. Retour au dessin, confontation au grand format.
Inspiration : ce cycle se réfère au Voyage d'hiver, déambulation romantique et expérience intérieure de la nature.
Technique : lavis d'oxydes et pierre noire sur papier
Format : 150 x 90
Voir les dessins sous forme de livre
"L’acte de dessin renvoie au voyage intérieur, au « wandern » et à la conquête des paysages intérieurs, du regard intérieur. L’acte de dessin est une allégeance à notre passé d’homme, le geste ancestral qui nous relie à nous-mêmes, à l’enfance de nos émotions et au plus fort de la nature. Le dessin de grand format a fait ressurgir en moi des métamorphoses de pierres, des résurgences et des concrétions de corps oubliés dans le creux des collines, comme un panthéisme topographique."
La mesure du monde
Un voyage d’hiver
En cet hiver naissant, il voulut travailler sur nature, pensant que son air lui donnerait sa vigueur. Il lui semblait que les arbres, l’ordonnance des rochers, le plan de chaque colline et les terres sèches de l’Ardèche le soutiendraient. Il rêvait à une série de dessins nourris de force et de violence, de délicates fuites d’arbres et de rives grasses et langoureuses. Un fantôme de paysage flottait au bord de ses pensées et cheminait avec lui à l’horizon d’un vaste corpus de sensations. Il imaginait des pays mystérieux, des motifs au lyrisme déchirant, des visions aux accents bitumeux et des ciels embourbés de matières. Dans la crasse de sa palette de pierre noire, le mistral balayait une ardente liberté de masses sombres et lumineuses que la première averse du soleil rendait plus noire encore.
De la nature, c’était le monde qu’il voyait, qu’il dessinait, par delà l’horizon de la terre et le souvenir d’autres lointains. Des paysages de sa naissance à ceux de sa vie, se dégageait une humanité fondue dans celle de l’univers. Si, sur le seuil de chaque dessin, de vagues mythologies s’invitaient, un débordement joyeux d’ombre et de soleil naissait avec l’audace de se sentir le maître.
Car, si pour Cézanne il eut fallu brûler le Louvre, Jean-Marc préférait embarquer sur son dos les œuvres du passé comme une abondance d’idées et de soutiens fraternels. Sa frénésie de dessiner était telle qu’il ne souhaitait qu’une chose, que son corps ait de la vigueur afin d’obéir à l’âme du paysage. A cela, son atelier devint une mansarde vitrée, s’offrant à la flamboyance de la nature, et puis, comme on copie des plâtres, celle-ci l’initia à ses secrets magiques. Dans la flambée imaginative de sa magnificence, il voyait se répandre sur ses larges surfaces de papier un informe grouillis d’éboulements de roches empourprées et de tonalités boueuses.
« Comment faire dire aux arbres la tristesse mystérieuse de la forêt ? » se demandait-il. Peut-être par les tremblements d’une fièvre intense dans laquelle quiconque frissonne et brûle. Là, à la pointe d’un soleil qui se couche, loin de toute iconographie collective, de toute histoire sacrée et d’obscurs mythes païens, un monde immatériel, fluide comme la vie, émergeait, porteur de songes végétaux et d’architectures de pierres au pied de vastes frondaisons ombreuses s’effaçant dans des sous-bois indistincts. Poussé parfois par l’étrangeté, chaque grand dessin semblait n’admettre aucune limite rationnelle, tandis qu’au culte de la nature, chacun s’enchantait d’harmonie céleste et de fantaisie inspirée de rêves lointains. De vagues intuitions en de vains questionnements, un nouveau dessin succédait à un précédent. « Comment était-il possible que de frêles arbres puissent soutenir des ciels plus lourds que la coupole d’un petit temple ? » se demandait-il encore. Il lui semblait en effet que sans héroïsme aucun paysage bitumeux ne soutiendrait l’ardente clarté d’un ciel d’hiver, de cet hiver d’où naissaient des gestes d’arbres, des profils de roches et de grottes profondes taillées dans les collines. Dressé telle une haute muraille, l’horizon de la terre faisait surgir des mythologies lyriques, de lourds feuillages de rêve et d’heureux souvenirs de Maîtres anciens. Car traduire la nature, c’était dresser son chevalet au pied des grandes œuvres, mais les chaussures plantées dans les parfums de la terre.
Un jour, on était en mars, neuf grands dessins étaient nés dans la joie d’avoir retrouvé la beauté des choses simples. Et même si le doute s’invitait encore, neuf dessins apparaissaient sur les murs de l’atelier comme le salut et la certitude d’un espoir longtemps caressé. Neuf dessins, comme neuf grandes figures consolatrices maçonnées dans la solitude de son art. Aux caresses du vent, il avait incarné la chair savoureuse des danses végétales, essuyé la poussière du coin noir d’un ciel, saisi l’épouvante apparition d’un bas-relief rupestre. Dans ses jeux virgiliens, un grand souffle traversait chaque dessin pétri d’austérité fluide et d’ascèse intérieure. Âpre, désert, massif et fruste, chaque coin de terre dessiné portait l’évanouissement progressif de la nature pour une rhétorique magnifique de l’invention esthétique. Loin de copier le monde, il s’était soumis au sourd labeur du soleil et de l’ombre. L’éternelle beauté de la nature lui avait offert de subtils fragments tandis que les arbres et les rochers étaient devenus ses amis. Et, alors que les éléments de la terre s’étaient ajoutés aux tourments de l’artiste, le voyage d’hiver prenait fin. L’histoire du monde avait été traversée, les assises géologiques découvertes, la pesanteur d’un nuage apprise, les prismes cosmiques étudiés, rien ne lui avait échappé, pas même le sens aigu du néant. Alors, lorsque la géométrie du dessin eut fini de mesurer son monde et que le printemps s’invitait, une œuvre était née.
Daniel Airam, avril 2017 - http://danielairam.com